10ème catéchèse du 6/03/2022
Parmi les prières du temps de Carême se trouve une courte prière que l’on peut considérer comme LA prière du Carême, il s’agit de la prière dite « de St Ephrem le Syrien » que l’Eglise attribue à l’un des grands spirituels de l’Eglise indivise, St Ephrem dit le Syrien, auteur de magnifiques homélies et d’hymnes divers, un très grand ascète de l’Eglise au IVème siècle.
Cette prière est dite à tous les offices quotidiens de Carême, exceptée les samedis et les dimanches, mais on peut aussi la dire de façon personnelle à tout moment du jour et de la nuit, de la bouche comme du fond de son cœur.
Elle est remarquable de sobriété et de profondeur, très simple, transparente même, de cette simplicité qui est le fruit d’une profonde expérience spirituelle, l’aboutissement d’un long chemin ascétique et mystique. Rien n’est superflu dans cette prière mais rien n’est oublié non plus ; elle est, presque, une sorte de formule mathématique, une formule qui touche les profondeurs de notre cœur.
Elle n’est pas seulement le cri d’un pécheur vers Dieu pour qu’Il l’instruise et le guide mais elle est elle-même un guide, une instruction qui renferment et la demande et la réponse. Elle peut, si nous la pratiquons de tout notre cœur, changer véritablement le fondement de notre vie et nous apporter la guérison de nombreux maux aussi bien physiques que spirituels.
Mais pourquoi une prière aussi simple et aussi courte occupe-t-elle une place si essentielle durant le temps de Carême ? Parce qu’elle énumère, de façon très harmonieuse, très pédagogique, tous les éléments, tant négatifs que positifs, du repentir, en un mot, tout ce qui peut nous éloigner ou nous rapprocher du Seigneur ; elle est comme un « aide-mémoire » pour notre effort personnel, durant tout le temps du Carême.
Voyons déjà la 1ère formule : « Seigneur et Maître de ma vie, l’esprit d’oisiveté, de découragement, de domination et de vaine parole, éloigne de moi ! »
L’esprit d’oisiveté : c’est la paresse qui est, dit-on, « la mère de tous les vices » ; l’oisiveté est une sorte d’apathie, tant intérieure qu’extérieure, une passivité de tout notre être qui tend ainsi à nous « tirer vers le bas » et qui, très insidieusement, cherche à nous persuader que tout effort ne mène à rien, que tout effort n’est jamais fructueux, alors pourquoi en faire ? La conséquence de cette paresse si nous la laissons grandir en nous, nous entraine vers l’acédie c-à-d le découragement, le dégoût de tout ; plus rien n’a de valeur et nous nous enfermons alors dans une sorte de cynisme, très destructeur qui nous éloigne de Dieu et de nos frères humains et pourra aboutir au désespoir, forme insidieuse d’orgueil.
Aussi étonnant que cela paraisse, oisiveté et découragement vont nous amener à l’esprit de domination ; en effet, si je ne suis pas tourné vers le Seigneur et vers les autres, je reste centré sur ma petite personne ; ainsi tous ceux qui vivent autour de moi ne sont plus que des objets, au service de ma propre satisfaction car j’évalue alors tout ce qui m’entoure en fonction de mes désirs et de mes souhaits ; je cherche ainsi, si l’on peut dire, à « soumettre » l’autre, dans les domaines qui font mon intérêt mais cela peut aussi aboutir à de l’indifférence voire à du mépris, si l’on n’est pas intéressé par ce que l’autre pourrait m’apporter.
Enfin les vaines paroles, le vain bavardage ; le bavardage d’ailleurs est vain ! De tous les êtres créés, seul l’homme a été doté de la parole, à l’image du Créateur Qui S’est révélé à nous comme Verbe (Jn 1,1) ; on peut dire que la parole est, en quelque sorte, le « sceau », la marque de l’image divine en nous. Du fait que la parole est don suprême, elle est par là-même aussi, suprême danger : la parole est un baume car elle peut sauver comme elle peut tuer et détruire ; elle inspire, elle encourage comme elle peut empoisonner ; elle est instrument de vérité comme elle peut être mensonge diabolique. Par le bavardage, la parole perd toute valeur, se délite ; parler pour ne rien dire, emplir l’espace de mon discours creux et sans intérêt, reflet de mon inconsistance intérieure, telles sont les vaines paroles !
Voici donc les 4 points contre lesquels il nous faut lutter, avec la grâce de Dieu, d’où cette exclamation adressée à Dieu : « éloigne de moi ! ».
Suit la 2ème formule : « L’esprit d’intégrité, d’humilité, de patience et de charité, accorde à ton serviteur ! »
L’intégrité c’est la simplicité, la bonne volonté, et une bonne volonté unie à la grâce de Dieu suffisent pour notre sanctification. L’intégrité c’est aussi la pureté d’intention en toutes choses qui implique la « garde » du cœur et de nos pensées, à l’image des jeunes enfants. L’intégrité c’est fixer notre regard sur l’intérieur de nous-même devant Dieu.
L’humilité est le fruit de l’intégrité ; elle est, par-dessus tout, la victoire de la vérité en nous c-à-d l’élimination de tous les mensonges, conscients comme inconscients, dans lesquels nous avons tendance à nous complaire et ces mensonges ne sont pas seulement ceux de la bouche mais ceux, plus profonds, de nos pensées et de notre cœur.
Être humble, c’est avant tout être lucide (lucius=lumière), c-à-d être capable de voir les choses comme elles sont véritablement et non comme on voudrait qu’elles soient (mensonge intérieur, conscient ou non), selon nos désirs ! Être humble c’est reconnaître la réalité de nos faiblesses mais reconnaître aussi tout ce que le Seigneur fait pour nous.
La patience (la mère de toutes les vertus dit-on) ; nous sommes impatients dans toutes sortes de domaines et de situations, on veut toujours finir avant d’avoir commencé, bâcler pour terminer vite ! Plus grave, nous sommes prompts à juger et à condamner les autres sans leur laisser la moindre possibilité de se défendre, de s’expliquer, tout cela parce que notre vision est le plus souvent fragmentaire, partiale, passionnée et que nous évaluons les autres à partir de nos propres critères c-à-d de nous-même. Dieu, Lui, est patient parce qu’il voit la profondeur de tout ce qui existe et non parce qu’il serait « indulgent » alors que nous ne la voyons pas ou plutôt nous ne cherchons pas à la voir. Mais plus nous nous rapprochons de Dieu par la prière et la pratique des commandements divins, plus nous devenons patients pour tous les êtres comme Dieu le fait Lui-même.
Enfin, couronnement et aboutissement de toutes les vertus est la charité qui ne peut être donnée que par Dieu, comme toutes les autres vertus d’ailleurs. Elle est l’amour en acte, le don ; « aimer, c’est se donner et se donner soi-même » dira Ste Thérèse de Lisieux.
Enfin la 3ème formule : « Donne-moi de voir mes fautes et de ne pas juger mon frère car Tu es béni pour les siècles des siècles, amen ! »
Aucun groupe, aucune communauté humaine ne peut résister à la puissance destructrice du jugement des autres ; le Christ, l’apôtre Paul, St Jacques insistent sur la nécessité du non jugement ; le fondement de la communion est acquis par le service du frère, sans le juger. Mais le fait aussi d’être attentif à nos propres fautes plutôt qu’à celles des autres nous aide grandement à ne pas juger le comportement des autres et, finalement, il n’y a qu’un seul danger, l’orgueil, source de tout mal, de tout péché.